Trempé jusqu’au os, le chasseur de grenouilles était blotti dans les roseaux, retenant son souffle.
Serrant son sac contre lui, grelottant de froid, il ne bougeait pas, incapable de s’arracher au spectacle qu’il venait de découvrir à travers la bruine.
Sur la berge était couchée une elfe, ses long cheveux étalés sur l’herbe. Les yeux fermés, parfaitement nue, elle laissait la pluie glacée mouiller sa peau fine et bleutée sans paraître souffrir du froid, ni montrer de hâte à se sécher après sa baignade dans le lac, ou à se recouvrir de chauds vêtements de fourrure, comme une femme l’aurait fait.
Le chasseur souri en contemplant les courbes du corps que la pluie faisait briller d’un éclat d’argent.
Elle était d’une minceur extrême mais sans maigreur aucune. Ses cuisses, ses bras semblaient interminables.
Entre ses seins aux aréoles d’un bleu sombre, la pluie formait une rigole qui coulait le long de son ventre.
Elle paraissait endormi, n’était le lent balancement de son pied effleurant l’eau du lac.
L’homme aurait voulu s’approcher encore, la toucher des doigts, mais il vivait depuis assez longtemps pour avoir reconnu une elfe de l’antique race d’Eirin, ceux que les autres peuples appelaient les hauts-elfes.
Et on racontait des choses inquiétantes sur les hauts-elfes, malgré leur irréelle beauté…
Lentement elle se redressa, chassant de ses longs doigts les brins d’herbe collés à sa peau bleue.
Elle enfila une tunique d’une couleur indéfinissable, puis elle jeta sa tête en arrière, rassembla derrière sa nuque ses cheveux en un geste impudique qui fit saillir sa souple poitrine.
L’homme déglutit, fasciné par ces cheveux luisants d’où ruisselait un filet d’eau courant jusqu’entre les cuisses de l’apparition.
Toujours accroupi, il s’arracha péniblement à la boue pour s’avancer encore, mais l’une de ses bottes resta collée dans la vase : il chuta de tout son long parmi les roseaux.
Lorsqu’il releva la tête, l’elfe avait disparu.
Elle était là, pourtant, tout proche, immobile dans les herbes, fixant de ses yeux verts, presque jaunes, le chasseur de grenouilles qui barbotait piteusement en tentant de récupérer sa botte. L’homme y parvint enfin et sortit de l’eau, si près d’elle qu’elle aurait pu le toucher. Mais il ne la vit pas.
La bruine glaciale n’avait cessé de tomber depuis la matinée, mêlant e lac, le ciel et les berges en une même couleur gris-bleu dans laquelle les elfes se fondaient aisément. Leurs vêtements légers étaient faits d’un tissu fin aux tons changeants, que les hommes nommaient moire, sans en comprendre la fabrication, et qui les dissimulaient aisément à leurs regards. Parfois rouges comme les feuilles d’automne, parfois verts comme les prairies, parfois gris comme la pierre, les vêtements elfiques leurs semblaient tout simplement d’origine magique…
L’homme éternua bruyamment et jura.
- Saleté ! Catin ! Montre toi si l’oses !
L’elfe sourit, mais ses yeux se durcirent.
Le chasseur jura encore, vida sa botte gorgée d’eau et retira sa musette de grenouilles.
- Sorcières ! brindille ! grommela t-il. Pour qui ça se prend ?
Il ôta sa chemise de lin trempée, la tordit et essuya sommairement son torse.
- T’as de la chance ! cria t-il. Je t’aurais montré, moi ! Caches-toi, va ! Ca vaut mieux !
- Qui se cache ?
L’homme sursauta, laissant tomber dans l’herbe sa chemise.
L’elfe s’était dressée, juste à côté de lui, enveloppée dans sa tunique de moire, le dominant d’une demi-tête mais paraissant plus frêle qu’une enfant.
- Sacrebleu, tu m’as fait peur ! dit le chasseur de grenouilles en retrouvant sa contenance. Alors tu étais là ?
- Oui, répondit l’elfe, avec le même sourire froid. Et toi tu étais là-bas, dans les roseaux, n’est ce pas ?
L’homme ricana gauchement. La tunique n’était pas fermée, et le corps irréel de l’elfe était là, tout près, il n’y avait qu’à tendre la main…Elle ne réagit pas lorsque la paume rugueuse du chasseur se plaqua sur sa peau bleutée et glissa jusqu’à ses seins.
- Seigneur Dieu, murmura le chasseur de grenouilles pour lui-même. On dit que vous vous y entendez…On dit même que vous préférez les hommes, hein ?
- Tu as froid, dit-elle. Tu as froid et tu trembles…Et pourtant ton ventre est en feu…
- Ouai ! marmonna t-il avec un autre ricanement obscène. Tu vas voir !
Elle commença à secouer tout doucement la tête sans le quitter des yeux.
- En feu…En feu…
L’homme la saisit par les hanches, arrachant la fragile tunique de moire, et la fit chuter dans l’herbe.
- Byrnan nith
- Quoi ? Qu’est ce que tu dis ?
La chaleur entre ses reins était trop forte. Insupportable. Il défit son ceinturon, laissa choir ses braies, puis s’agenouilla entre les jambes écartées de l’elfe. C’était trop beau. Nul encore n’avait…
- BYRNAN NITH !
A l’instant où l’elfe cria, une atroce douleur naquit dans les entrailles du chasseur de grenouilles. Il se releva en haletant, les yeux écarquillés de stupeur, le souffle coupé par la souffrance. Son ventre, ses intestins avaient pris feu de l’intérieur. Il ouvrit la bouche pour hurler, mais ses cordes vocales avaient brûlé. Seule une flamme bleue, avide et ondulante tel un serpent en jaillit, léchant son visage, carbonisant ses dents, sa langue et son palais. L’homme roula à terre avec un mugissement suraigu, battant l’herbe frénétiquement, son ventre déjà noir grésillant comme de la graisse sur le feu. La dernière chose qu’il vit avant que ses yeux ne fondent fut le regard clair de l’elfe posé sur lui, et son calme sourire…